FABRICE
Un jour viendra. La vie de chacun à chacun pour chacun hors de la portée de quiconque n’est pas chacun. Des portes largement ouvertes. Voilà ce que j’ai trouvé, simple, et qui t’échappe.
PAUL
Un désert.
Un temps.
FABRICE
Les images de l’Algérie reviennent dès qu’on parle de toi. L’avocat voudrait parler du père au procès. Les risques pris là-bas, la-casbah-la-canzonette. Il vient souvent à la maison dans la dune. Il pose des questions à l’Alma mater et au soutien-de-famille-l’alter-ego. Il parlera du père au procès. Il dit que le père a joué un rôle admirable. Il dit ce mot : admirable. Il dit ce mot de telle manière qu’on aime ce mot, qu’on aime ce père, cette guerre, ce monde, et d’être un homme fils de guerrier je crois.
PAUL
Il n’y aura pas de procès. J’ai déserté.
Une étreinte qui n’a pas lieu.
FABRICE
Paul. Il y aura. Laisse-moi encore.
PAUL
Ça retombe sans cesse, comme quelque chose qui n’en peut plus, un poisson à l’air libre. Il faut pourtant prendre le large. Fabrice. Paul.
FABRICE
N’attends pas de moi des petits baraquements des cabines de bain des préfabriqués.
PAUL
N’ai pas dit ça. Dégage.
FABRICE
Pas même le béton armé les parpaings le ciment rien du tout. Pas les pierres, pas le sable le mastic pas la chaux le crépi les tuiles les poutres et les lambris pas les torchis c’est compris rien du tout c’est déjà du préfabriqué les éléments à assembler, du légo ; même pas la silice tu as compris, le carbone les minéraux mendeleïev et la smala tu n’auras rien dans ta fabrique tu n’auras pas un atome un électron pour construire ta baraque n’attends pas ça de ton frère. J’interviens en amont : l’élargissement. Faire pièce commune pourquoi pas, mais ça viendra de moi.
PAUL
Tu remonteras les casiers cette nuit ?
FABRICE
Demain.
PAUL
Tu penseras à décrasser le moteur ? Avec tes conneries on a failli finir la nuit à la rame. Ou à la douane anglaise. Le mois prochain, c’est le début des dorades.
FABRICE
Ne t’en fais pas pour le moteur.
PAUL
Qu’est-ce que tu as fait à l’équinoxe ?
FABRICE
Je suis monté au calvaire jeter des fleurs dans les vagues.
PAUL
Tu as tendu ?
FABRICE
Non.
PAUL
Ni lignes ni filets ? Pas de casiers ?
Une bagarre qui n’a pas lieu.
FABRICE
Rien. Je n’ai rien pêché à l’équinoxe. J’ai attendu que la mer monte. Je suis monté au calvaire. J’ai su.
PAUL
Tu pues l’alcool.
FABRICE
Je t’aide à faire ton sac.
PAUL
Tu me dégoûtes. La même odeur que là-bas. Tu m’infliges ça.
in Dédicace, © Editions L’Harmattan